L'histoire du Dauphiné

L'histoire du Dauphiné

Le nom même de Dauphiné n’apparaît qu’à la fin du XIIIe siècle, alors que la gestation de la principauté s’accomplit dès les premières décennies du XIe siècle, avec les sires de Vion, dans un espace profondément bouleversé depuis la fin de l’Antiquité et l’effacement de la Romania. Du Ve au Xe siècle, s’y succédèrent le royaume des Burgondes, puis avec l’affirmation décisive des initiatives septentrionales, celui des descendants de Clovis, et enfin des Carolingiens, à qui il revint de réunir l’héritage du passé romain et les acquis des temps nouveaux dans l’empire de Charlemagne. Le vaste ensemble « bourguignon » à valeur stratégique évidente dans cette perspective, constitue l’un des éléments de la Lotharingie, du Zuyderzee à l’Italie, définie lors du partage de 843, qui dessina les lignes de force du monde médiéval et moderne en création. Devenu royaume de Provence en 879 au profit de Boson, premier souverain étranger à la descendance carolingienne, puis à partir de Rodolphe II et de son fils Conrad, royaume de Bourgogne, sous la protection et la tutelle impériale d’Otton le Grand, l’ensemble de la région devait bientôt connaître l’affermissement des pouvoirs locaux - ceux des châtelains - à la faveur de l’éclipse de toute autorité royale unitaire dans des temps profondément troublés. Ainsi émergèrent dans la même période les Humbertiens de Savoie et, avec Guigues de Vion et ses successeurs comtes d’Albon, les fondateurs du futur Dauphiné.

 

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Carte et description générale de Dauphiné, avec les Confins des Pais et Provinces voisines.

Le tout racourcy et réduict par Jean de Beins ingénieur et géographe du Roy

(Bibliothèque municipale de Grenoble, cote Cd.13)

 

Les trois « races » des « Dauphins », ainsi désignés à partir du XIIe siècle, appartenant aux Maisons d’Albon, de Bourgogne (1192-1282) et de La Tour du Pin, jusqu’en 1349, se livrèrent au gré de circonstances favorables guettées avec avidité et une volonté acharnée d’affirmation, à l’œuvre de rassemblement d’un espace étendu depuis le Viennois de la vallée du Rhône jusqu’aux montagnes du Briançonnais en passant par le Grésivaudan. L’analyse des forces du prince, seules garantes de durée, montre cependant au milieu du XIIIe siècle la fragilité de cette construction, en dépit d’atouts évidents - indépendance de fait à l’égard de l’Empire suzerain, ampleur du territoire et surtout souci de gestion rigoureuse, dont témoignent les enquêtes sur lesquelles repose notre information. Mais avec une population deux fois inférieure à celle de la Savoie, une production agricole médiocre, des villes sans grande attractivité et où il fallait compter avec le pouvoir des évêques, un rôle stratégique de portier des Alpes certes, mais sans commune mesure avec celui des comtes de Savoie, maîtres des principaux passages vers l’Italie, le Dauphiné ne pouvait soutenir la comparaison avec la principauté voisine, sa rivale de toujours.

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Les dauphins de Viennois, extrait de l'Album du Dauphiné

(Bibliothèque municipale de Grenoble, cote Pd01DAUP1)

 

Humbert II, qui sut doter son domaine d’institutions solides, imposer avec force son autorité et, en une période d’épanouissement des principautés dans l’ensemble de l’Occident, confirmer son statut princier par toute une série de mesures de prestige – création précoce d’une université à Grenoble en 1339, croisade en Orient – dut accepter l’échec de ses ambitions et de ses rêves. Mais par le « Transport » de 1349 à la couronne de France, il parvint au prix de son sacrifice personnel, à sauver précisément son Dauphiné de toute fusion ou annexion à une principauté proche. Nanti d’un Statut protecteur, objet d’une union personnelle – « ne sera, ne puisse être uni le dit Dauphiné au royaume de France fort tant que l’Empire y serait uni », il allait devenir l’apanage prestigieux de l’héritier du trône.

La couronne sut recueillir l’héritage sans rupture et sans le figer : ce fut elle qui dota le Dauphiné de deux institutions majeures, qui devaient resurgir en pleine lumière au moment de la Révolution : les États, voulus par Charles V, le premier dauphin royal, et le Parlement, l’un des premiers parlements provinciaux, établi en 1453 par Louis II, le futur roi Louis XI, alors résidant en sa principauté, dont il fit le banc d’essai de l’ordre monarchique qu’il entendait mettre en œuvre. Dès ce moment, fruit du loyalisme constant des Dauphinois tout au long de la guerre de Cent Ans, se dessinait une province de France.

 

Une province du royaume de France

 

A partir du début du 16e siècle commence la véritable intégration du Dauphiné au royaume de France. Deux dates encadrent cette perte progressive des libertés dauphinoises : l’Ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 d’une part ; la prise de pouvoir par Louis XIV en 1661 d’autre part.

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose le français comme langue administrative aux dépens du latin et réforme la justice ecclésiastique n’est pas reçue en Dauphiné au nom même des particularités provinciales : le roi n’y est pas qualifié de « dauphin de Viennois ». Il faut une nouvelle ordonnance à Abbeville, « faite par le Roy notre Sire, Dauphin de Viennois, Comte de Valentinois et Dyois » pour que les décisions s’appliquent dans la province.

 

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Dans la seconde moitié du 16e siècle, le Dauphiné est profondément bouleversé et ravagé par les Guerres de religion. Le triomphe de Lesdiguières est aussi celui de Grenoble qui s’impose définitivement comme une véritable capitale. La ville est profondément agrandie et transformée par le connétable.

 

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Le connétable de Lesdiguières

 

Mais les injustices fiscales et les malheurs de la guerre sous-tendent une profonde tension sociale qui s’expriment dans un long procès porté jusqu’à la cour du roi, le « Procès des tailles ». A sa conclusion en 1634, une véritable révolution fiscale est introduite : la réalité des tailles. Elle fait désormais peser l’impôt non sur la qualité des personnes mais sur celle des biens possédés. Mais cette révolution qui fait contribuer, pour une petite partie, les privilégiés à l’impôt, s’accompagne en 1638 d’une autre révolution institutionnelle majeure qui renforce l’autorité monarchique : la suspension des Etats provinciaux, garant des libertés dauphinoises, et leur remplacement par des élections, circonscriptions fiscales dans laquelle le roi répartit désormais l’impôt.

Avec la prise de pouvoir par Louis XIV en 1661, la cause est entendue ! Alors que François 1er devait encore compter avec les libertés du « Pays » de Dauphiné, Louis XIV en 1661 ne parle plus que de « sa » province sur laquelle l’autorité monarchique s’impose par l’intermédiaire des intendants. Ils sont à la fois l’œil du roi dans la province et les acteurs décisifs du développement économique et social. De la défense des entreprises dauphinoises contre l’hégémonie lyonnaise comme le fait Fontanieu dans les années 1730, aux constructions routières de Delaporte et Pajot de Marcheval ou aux soutiens apportés aux cours de sages-femmes ou de chirurgie instaurés à Grenoble à la fin du 18e siècle, leur action est multiforme.

Au 18e siècle, le Dauphiné participe au mouvement des Lumières. Rousseau est reçu triomphalement à Grenoble. Le mouvement s’exprime dans le développement de sociétés de culture, loges maçonniques et sociétés académiques. Les deux principaux foyers sont Valence et Grenoble qui rivalisent sur ce terrain comme elles l’ont fait depuis le 16e siècle pour l’institution universitaire. Si l’Académie Delphinale obtient ses lettres patentes en 1789, la Société académique et patriotique a obtenu les siennes trois ans plus tôt en 1786.

C’est aussi dans les revendications politiques à un pouvoir mieux partagé que s’exprime le mouvement des Lumières. La création en 1787 d’une Assemblée provinciale ne répond pas aux attentes des élites dauphinoises. Dernier défenseur des « Libertés delphinales » et garant du Statut delphinal, le parlement dénonce de plus en plus vivement les initiatives centralisatrices de la monarchie. En mai 1788, il s’oppose comme la plupart des parlements, aux édits Lamoignon qui remet en cause ses compétences.

 

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La journée des Tuiles

 

La Journée des Tuiles qui suit le 7 juin, puis l’Assemblée de Vizille en juillet marquent les débuts de la Révolution française. Les États provinciaux réunis à Romans à l’automne constituent la dernière expression des institutions dauphinoises qui se dissolvent, en janvier 1790, avec la création de nouvelles circonscriptions administratives, les départements.

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Le Dauphiné dans les actuelles régions Auvergne-Rhône-Alpes et PACA

 

Au 19e siècle, la publication d’Almanachs départementaux d’abord, puis la création de sociétés culturelles nouvelles (Sociétés de statistiques dans la Drôme ou l’Isère, Société d’Etudes des Hautes-Alpes), marquent la volonté de rompre avec l’ancienne identité provinciale, quand d’autres tentent d’en perpétuer le souvenir avec la reconstitution de l’Académie Delphinale en 1842. Progressivement, l’identité territoriale de l’ancienne province s’étiole. Si en 1888, c’est bien encore la Révolution dauphinoise qui est commémorée lors du premier centenaire (avec la construction à Grenoble de la fontaine du centenaire), c’est dans des cadres distincts et purement départementaux qu’est célébré le second centenaire.

 

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La fontaine des Trois-Ordres à Grenoble, commémorative du premier centenaire de la Révolution en Dauphiné

 

Aux dépens du cadre historique du Dauphiné se développent d’autres espaces territoriaux. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec l’appui de Raoul Blanchard, s’esquisse une « Région des Alpes françaises », fondée sur le développement des industries hydroélectriques, et que le géographe qualifiait de « région électrogène ». C’est ce projet qui sous-tend notamment l’organisation de l’Exposition de la Houille blanche et du Tourisme à Grenoble en 1925.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, d’autres configurations territoriales se mettent en place, marquant définitivement la fin de l’unité du territoire dauphinois avec le rattachement du département des Hautes-Alpes à la région PACA et celui de l’Isère et de la Drôme à la Région Rhône-Alpes (Auvergne-Rhône-Alpes aujourd’hui).

Eclaté, partagé entre Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), le Dauphiné ancien est un souvenir, mais aussi par les richesses patrimoniales les plus variées et les plus actuelles qu’il abrite, un vaste terrain offert à la découverte de nouveaux venus nombreux, attirés par le dynamisme du présent.

 

Bibliographie

 

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